Justice climatique et principe d’interdiction de nuire : l'apport décisif de l'interactionnisme épistémologique

Abstract

"“Justice climatique et principe d’interdiction de nuire : L'apport décisif de l'interactionnisme épistémologique”, in Interactionnisme et normes: approche transdisciplinaire, sous la coordination de Emmanuel Jeuland et de Emmanuel Picavet, Editions de l’Institut de Recherche Juridique de la Sorbonne (IRJS), 2016, pp. 83-101.

Il y a des énoncés qui paraissent simples mais qu’il est difficile de comprendre parce qu'ils heurtent l'intuition. La thèse suivante va probablement paraître tout à la fois évidente et incongrue à nombre de lecteurs : « On constate que les grands émetteurs de gaz à effet de serre commettent une faute collective par négligence fautive ». Cet énoncé parait simple puisque chacun peut comprendre que les hauts niveaux d'émissions de gaz à effet de serre vont causer un préjudice à autrui (d’abord dans les pays les plus fragiles), à ses lignées (les enfants juste nés et les générations à venir), à sa communauté politique et à l'avenir de l'humanité. Les avertissements quant aux dommages annoncés sont clairs depuis 1991, cependant que les émissions globales ont cru de 60 % depuis cette période de temps, ce qui dénote un certain mépris dans l’exercice des responsabilités. Le constat a beau être limpide, ou est-ce à cause de sa cristallinité, sa compréhension achoppe sur l’application de cet interdit dans le domaine climatique vu le nombre élevé de grands émetteurs de gaz à effet de serre. Les négociations climatiques nous ont habitué aux principes de « responsabilités communes mais différenciées » qui enjoint à chaque pays de faire ce qu'il peut en tenant compte de ses moyens.51 On préfère aborder la question environnementale sous l'angle d’une sorte de responsabilité sans faute, plutôt qu'en l’adossant sur le principe de ne pas nuire en cherchant des « coupables » au nombre duquel nos pays seraient, peu ou prou.52 Le principe d'interdiction de nuire est un principe de droit naturel implicite à l'ordre juridique, mais les nombreux obstacles à sa translation dans les lois positives empêchent sa mise en oeuvre pour les gaz à effet de serre, ce qui fait de cette proposition une incongruité – au moins en apparence. Un tel énoncé ne"