« La robe sans couture de la réalité » : André Bazin et l’apologie du réalisme cinématographique
Author(s)
Lebedev, OlegContributor(s)
UCL - SSH/ISP - Institut supérieur de philosophie
Full record
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http://hdl.handle.net/2078.1/175764Abstract
Prenant au sérieux le caractère référentiel et automatique du mode d’objectivation du réel par la caméra, André Bazin a fixé l’idée que le cinéma est un art absolument réaliste qui nous débarrasse de l’expression de l’artiste, des effets de style et de l’ennui d’une histoire à raconter. Mais une telle conception n’allait pas sans ambiguïtés et partis pris embarrassants. D’une part, puisque l’esthétique se déduisait des propriétés techniques, ce n’est qu’en restant fidèle à la spécificité de son medium que le film est capable de laisser venir le monde « tel qu’en lui-même », c’est-à-dire « objectivement ». D’autre part, à considérer l’ensemble de la production, il était nécessaire de créer une opposition artificielle entre les cinéastes formalistes qui manipulent et reconstruisent le réel par un enchaînement d’actions indigne, et les cinéastes de la présence brute chez qui l’inscription sensible du corps filmé révèle une puissance propre indépendante du montage. Comment rendre compte de cette apparente aversion de Bazin à toute marque de style un peu appuyée, voire à ce qui semble constituer les gestes fondamentaux d’un cinéaste : narrer, relier, couper, coller, éditer, se rapprocher ? Contre l’explication répandue qui ne tient naïvement compte que des présupposés modernistes sur l’enregistrement et de l’épiphanie des « faits bruts » que le film est censé procurer, il est soutenu que Bazin n’a pas conçu le réalisme comme la possibilité du cinéma de transmettre la consistance spatio-temporelle du monde. Son problème ne porte que marginalement sur l’ontologie de l’image analogique et concerne davantage l’attitude du cinéaste face à un medium qui a des affinités spécifiques vis-à-vis du réel. Car si l’œil mécanique est capable de tout capturer, cette incorporation du monde par la caméra atteste aussi une forme de violence proprement cinématographique. Quel est le critère possible pour une pertinence politique d’une image cinématographique ? Y a-t-il un standard non-subjectif qui fonde la différence entre les films abjects et les films acceptables ? En dernière instance, puisque la caméra prélève des fragments hors du réel, l’image filmique n’est-elle pas nécessairement réification obscène, extorsion cruelle et arbitraire ? Après une étude préalable des aspects technique, idéologique et artistique de l’esthétique réaliste, il apparaîtra que la théorie de Bazin est plus correctement exprimée en tant qu’une demande pour un positionnement moral du cinéaste qui juge ce qu’il filme et qui devrait être jugé d’après la façon dont il juge. Redoublé avec les arts « mécaniques » qui ont affaire – techniquement – au réel, il y a le sentiment qu’il ne faut pas prendre à la légère la responsabilité d’un homme envers les images qu’il crée. En traitant le problème en termes politiques, plutôt que techniques ou formels, il deviendra possible de révéler en quoi Bazin a établi l’idée qui fait autorité dans l’esthétique filmique, selon laquelle « juste une image » doit aussi être une image de « justice et justesse ». L’exigence du réalisme n’est alors rien d’autre chez lui que l’exigence pour l’artiste de l’ère moderne de ne pas nuire avec ses images, c’est-à-dire de faire l’épreuve du négatif dans laquelle la caméra cogne contre un réel qui résiste, insiste. Ainsi, la tâche du cinéaste est d’être un guetteur, un veilleur sur un monde qu’on doit supposer non-totalisable et irréductible à sa captation.Date
2016Type
info:eu-repo/semantics/articleIdentifier
oai:dial.uclouvain.be:boreal:175764boreal:175764
http://hdl.handle.net/2078.1/175764
urn:ISSN:1782-2041
urn:EISSN:1782-2041